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MIRABEAU.

les chimères logées à l’étroit dans sa vaste tête, pêle-mêle avec une cohue de préjugés et de paradoxes.

Infatué de sa noblesse surfaite, engoué des nouveautés à la mode, il avait deux marottes qui ne devaient pas bien aller ensemble, mais que sa vanité forçait à cheminer de compagnie : ressusciter une grande existence féodale, et faire, par principes et droit de nature, le bonheur du genre humain. C’est lui qui disait sans rire : « Il n’y a jamais eu qu’une mésalliance dans notre famille, celle des Médicis » ; et plus tard, se trompant de trois siècles : « Depuis cinq cents ans, on a toujours souffert des Mirabeau qui n’étaient pas faits comme les autres ».

Ce marquis de fraîche date veut être duc ; et il achète aux Rohan le fief de Roquelaure, sans l’aller voir, comme il s’est marié.

Le lendemain, on lui montre qu’il a payé cent mille francs de trop ; il plaide pour rentrer dans son argent, et redevient marquis comme devant. Mais ce duc sans duché est en même temps un agronome de premier ordre ; il veut labourer à sa guise, et il bouleverse à grands frais la terre de Sauvebœuf, qui appartenait à sa femme. Dans le même temps, il achète, à cent lieues de là, le domaine du Bignon, tandis qu’à l’autre bout de la France, il projette un canal qui doit faire du terroir pierreux de Manosque une petite Beauce provençale.

Ce n’est pas assez ! il lui faut un hôtel à Paris pour recevoir les beaux esprits et les philosophes. Et il achète une maison rue Bergère, qu’il troque