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MIRABEAU.

vent faire oublier les bienfaits ; et qui, malgré d’effroyables intervalles de servitude et d’anarchie, n’a pas cessé de s’appeler la liberté.

On voudrait en vain compter les écrits que l’œuvre de Montesquieu a fait naître. Sa concision irritante, ses obscurités calculées, l’air de désordre qui règne, par endroits, dans ce grand ouvrage, étaient comme autant de défis habiles jetés à la curiosité du public.

Des esprits ingénieux s’appliquèrent à deviner les énigmes, à déchiffrer les oracles dont le sens échappait à la sagacité du vulgaire. Comme les Pandectes, l’Esprit des lois eut ses scoliastes et sa glose.

De cette multitude d’écrits, le plus long, le plus lourd, le plus diffus et le plus touffu est assurément l’Ami des hommes ; c’est peut-être aussi le plus remarquable. Il a été pendant un temps populaire ; il a mérité de rester célèbre. C’est un de ces livres dont tout le monde parle, que presque personne ne connaît, et que, dans chaque génération, un citoyen courageux devrait lire, pour en dispenser tous les autres.

Le marquis de Mirabeau n’en était pas à son coup d’essai. Cet administrateur désordonné, ce propriétaire nécessiteux et prodigue se croyait, par vocation de nature, le législateur, l’économe providentiel du genre humain.

Près de dix années auparavant, en 1747, il avait laissé courir en manuscrit un « testament politique » où, s’adressant, par avancement d’hoirie, au fils qu’il n’avait pas encore, il lui disait gravement :