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MIRABEAU.

État devait résumer dans une seule phrase toutes les idées de son père.

Je n’ai à faire ni la critique, ni l’analyse de l’Ami des hommes. De plus habiles ont reculé devant ce labeur ; d’autres n’y ont réussi qu’à moitié. Il faut bien du courage pour pénétrer dans ce labyrinthe, et pour chercher à tâtons le bout du fil ; mais, à travers ce brouillard d’idées, de rêves et d’utopies, dans ce demi-jour où se croisent d’inextricables détours, de loin en loin percent de grands coups de lumière. De ces divagations épaisses se dégagent alors les questions les plus vivantes qui puissent intéresser les sociétés humaines, celles qui devaient surtout surprendre et troubler une grande nation accablée de maux et de vieillesse, avide de rajeunissement et de nouveautés.

Aujourd’hui encore, dans les lourdes digressions de ce monologue confus, nous retrouvons presque toutes les idées qui nous tourmentent, presque toutes les passions qui nous agitent, presque tous les dangers qui nous menacent.

Est-ce l’Ami des hommes d’il y a cent ans, ou un publiciste d’aujourd’hui qui, effrayé du dépeuplement de la France, écrit dans sa langue bizarre et hardie :

« Le premier des biens, c’est d’avoir des hommes. Je voudrais que chaque fille mère reçût dix écus pour prix du présent fait à l’État…. Il est indifférent à la terre de produire des chèvres ou des hommes…. Les hommes multiplient comme des rats dans une grange, s’ils ont les moyens de subsister…. »