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MIRABEAU.

a tiré le fond même de sa politique. Et quand on a fait le tour de toutes les idées que remuait ce petit cénacle, on reconnaît qu’il n’en est presque aucune qui n’ait bientôt après bouleversé le monde et qui ne le trouble encore aujourd’hui.

J’ai dit que Quesnay était prudent. Mirabeau ne l’était guère. Ses succès avaient enflé son audace. Pour laisser à la science le champ libre, pour faire donner à la terre tout son rendement, il fallait arracher d’abord les plantes parasites qui la dévoraient, c’est-à-dire détruire la compagnie puissante qui tenait dans ses mains la ferme des impôts. « Renversons la Ferme d’abord, et nous aurons assez fait pour la régénération. »

C’est de ce côté que le « tenace docteur » lança son lieutenant. Il y courut tête baissée. En quelques mois, il écrivit un gros livre qui avait pour titre : la Théorie de l’impôt, et pour conclusion pratique la suppression immédiate de la compagnie. Sans aller jusqu’au bout de la préface, on pouvait prévoir quel serait le sort de l’auteur et de l’ouvrage. Il y avait dans les vingt premières lignes le contrepoids de vingt lettres de cachet. Le 16 décembre 1760, l’Ami des hommes fut arrêté chez lui, le plus poliment du monde ; et, par un retour anticipé des choses d’ici-bas, emprisonné pendant huit jours dans le château de Vincennes, où, plus tard, il devait tenir son fils enfermé pendant quatre années. Au bout de la semaine, il fut invité à s’en aller au Bignon et à n’en point sortir sans un ordre du Roi.