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Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/232

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faiblesse. En vain Racine même, tout habile qu’il était dans l’éloquence du cœur, eût essayé de nous représenter ce prince, entre Bérénice d’un côté et Rome de l’autre, sensible aux prières d’un peuple qui embrasse ses genoux pour le retenir, mais cédant aux larmes de sa maîtresse ; les adieux les plus touchants de ce prince à ses sujets ne le rendraient que plus méprisable à nos yeux ; nous n’y verrions qu’un monarque vil, qui, pour satisfaire une passion obscure, renonce à faire du bien aux hommes, et qui va dans les bras d’une femme oublier leurs pleurs. Si quelque chose au contraire adoucit à nos yeux la peine de Titus, c’est le spectacle de tout un peuple devenu heureux par le courage du prince : rien n’est plus propre à consoler de l’infortune, que le bien qu’on fait à ceux qui souffrent, et l’homme vertueux suspend le cours de ses larmes en essuyant celles des autres. Cette tragédie, monsieur, a d’ailleurs un autre avantage, c’est de nous rendre plus grands à nos propres yeux en nous montrant de quels efforts la vertu nous rend capables. Elle ne réveille en nous la plus puissante et la plus douce de toutes les passions, que pour nous apprendre à la vaincre, en la faisant céder, quand le devoir l’exige, à des intérêts plus pressants et plus chers. Ainsi elle nous flatte et nous élève tout à la fois par l’expérience douce qu’elle nous fait faire de la tendresse de notre âme, et par le courage qu’elle nous inspire pour réprimer ce sentiment dans ses effets, en conservant le sentiment même.