Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/256

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obligent également tous les citoyens, et qu’à Genève les hommes ne sont jugés ni par les richesses, ni par les habits. Enfin rien, ce me semble, ne souffrirait dans votre patrie de l’établissement d’un théâtre, pas même l’ivrognerie des hommes et la médisance des femmes, qui trouvent l’une et l’autre tant de faveur auprès de vous. Mais quand la suppression de ces deux derniers articles produirait, pour parler votre langage, un affaiblissement d’état, je serais d’avis qu’on se consolât de ce malheur. Il ne fallait pas moins qu’un philosophe exercé comme vous aux paradoxes, pour nous soutenir qu’il y a moins de mal à s’enivrer et à médire, qu’à voir représenter Cinna et Polyeucte. Je parle ici d’après la peinture que vous avez faite vous-même de la vie journalière de vos citoyens ; et je n’ignore pas qu’ils se récrient fort contre cette peinture ; le peu de séjour, disent-ils, que vous avez fait parmi eux, ne vous a pas laissé le temps de les connaître, ni d’en fréquenter assez les différents états ; et vous avez représenté comme l’esprit général de cette sage république, ce qui n’est tout au plus que le vice obscur et méprisé de quelques sociétés particulières.

Au reste, vous ne devez pas ignorer, monsieur, que depuis deux ans une troupe de comédiens s’est établie aux portes de Genève, et que Genève et les comédiens s’en trouvent à merveille. Prenez votre parti avec courage, la circonstance est urgente et le cas difficile. Corruption pour corruption, celle qui laissera aux Génevois leur argent dont ils ont