Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/104

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neiges et les glaces achevaient de les fermer, chacun, dans sa cabane, était forcé de se suffire à lui-même et à sa famille ; de là l’heureuse et grossière industrie. Chacun exerçait dans sa maison tous les arts nécessaires : tous étaient maçons, charpentiers, menuisiers, charrons. Les rivières et les torrents qui les séparaient les uns des autres donnaient, en revanche, à chacun d’eux les moyens de se passer de ses voisins ; les scies, les forges, les moulins se multipliaient ; ils apprenaient à ménager le cours des eaux tant pour le jeu des rouages que pour multiplier les arrosements. C’est ainsi qu’au milieu de leurs précipices et de leurs vallons, chacun, vivant sur son sol, parvient à en tirer tout son nécessaire, à s’y trouver au large, à ne désirer rien au delà : les intérêts, les besoins ne se croisant point, et nul ne dépendant d’un autre, tous n’avaient entre eux que des liaisons de bienveillance et d’amitié ; la concorde et la paix régnaient dans leur nombreuse famille. Ils n’avaient presque autre chose à traiter entre eux que des mariages, où l’inclination seule était consultée, que l’ambition ne formait point, que l’intérêt et l’inégalité n’arrêtaient jamais.

Ce peuple pauvre mais sans besoins, dans la plus parfaite indépendance, multipliait ainsi dans une union que rien ne pouvait altérer ; il n’avait pas des vertus, puisqu’il n’avait point de vices à vaincre ; bien faire ne lui contait rien, et il était bon et juste sans savoir même ce que c’était que justice et que vertu. De la force avec laquelle cette vie laborieuse et indépendante attachait les Suisses à leur patrie, résultaient deux plus grands moyens de la défendre, savoir : le concert dans les résolutions et le courage dans les combats. Quand on considère l’union constante