Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/113

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table que par l’inégalité de la distribution. Car, supposé que dans l’île de Corse chaque particulier n’ait que dix écus, ou qu’il ait cent mille écus, c’est dans ces deux cas absolument de même pour l’état respectif de tous, et ils n’en sort entre eux ni plus riches, ni plus pauvres, et la seule différence est que la seconde supposition rend le négoce plus embarrassant. Si la Corse avait besoin des étrangers, elle aurait besoin d’argent ; mais, pouvant se suffire à elle-même, elle n’en a pas besoin ; et puisque l’argent n’est utile que comme ligne d’inégalité, moins il en circulera dans l’île, plus l’abondance réelle y régnera. Il faut voir si ce qu’on fait avec de l’argent ne peut se faire sans argent, et supposant qu’il se puisse, il faut comparer les deux moyens relativement à notre objet.

Il est prouvé par les faits que l’île de Corse, même dans l’état de friche et d’épuisement où elle est, suffit à la subsistance de ses habitants, puisque durant trente-six ans de guerre qu’ils ont plus manié les armes que la charrue, il n’y est cependant pas entré un seul bâtiment de denrées et de vivres d’aucune espèce ; elle a même tout ce qu’il faut, outre les vitres, pour les mettre et les maintenir dans un état florissant, sans rien emprunter au dehors. Elle a de la laine pour ses étoffes, du chanvre et du lin pour des toiles et des cordages, des cuirs pour des chaussures, des bois de construction pour la marine, du fer pour des foires, du cuivre pour des ustensiles et pour de la petite monnaie ; elle a du sel pour son usage, elle en aura au delà en rétablissant les salines d’Aleria, que les Génois mirent avec tant de peine et de dépense, dans un état de destruction, et qui donnait encore du sel en dépit d’eux. Les Corses, quand ils le voudraient, ne pourraient commercer au de-