Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/251

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DES INSTITUTIOiNS POLITIQUES. 22j

Si pour commencer par bien établir la proposition dis- putée, je pouvais déterminer exactement en quoi consiste dans un gouvernement quelconque la véritable supériorité de rÉtat, et quelles sont les marques les plus infaillibles sur lesquelles on puisse affirmer d’une nation qu’elle est heureuse et florissante, la question serait presque résolue par la définition même ; mais comme cette définition dé- pend d’une multitude de maximes particulières qu’on ne peut établir qu’à force de discussions et à mesure qu’on avance en matière, je serai contraint, quant à présent, a me borner à une idée très-générale, mais à laquelle je ne crois pas qu’aucun homme raisonnable puisse refuser son approbation. Je dis donc que la nation la plus heureuse est celle qui peut le plus aisément se passer de toutes les au- tres, et que la plus florissante est celle dont les autres peu- vent le moins se passer. D’ailleurs on peut dire que Tétat de la nation le plus favorable au bonheur des particuliers est de n’avoir besoin, pour vivre heureux, du concours d’aucun autre peuple, car il ne leur reste plus pour jouir de toute la félicité possible, que de pourvoir par de sages lois à tous leurs avantages mutuels, ce qui ne dépendrait pas si bien d’eux s’il fallait nécessairement recourir aux étrangers. Que si avec cela d’autres peuples ont besoin de celui qui n’a besoin de personne, on ne saurait imaginer une position plus propre à rendre heureux les membres d’une telle société^ autant que des hommes peuvent l’être. J’aurais pu dire aussi que la nation la plus heureuse est celle qui a le plus d’argent, ou celle qui fait le plus grand commerce, ou la plus ingénieuse dans les arts, et ceci au- rait été le sentiment le plus unanime. Mais si ces définitions sont justes, celle que j’ai donnée en doit être une consé-