Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/34

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duite de M. Buttafuoco, qui, dans cette affaire, passerait pour avoir trahi la cause de sa patrie, si, comme il est présumable, il n’avait été dupe du ministre habile que Frédéric appelait le cocher de l’Europe.

Soit que Rousseau ne désespérât point de la cause des Corses, et de la possibilité de les rendre libres ; soit, comme il l’écrivait à milord Maréchal, qu’il voulût s’occuper l’esprit de cette chimère, le problème de la forme de gouvernement qui convenait le miens à ces insulaires devint l’objet de ses méditations. La question était d’un grand intérêt pour lui ; il ne s’agissait plus de théories vagues, mais d’une application de principes. « C’était, écrivait-il au prince de Würtemberg (15 novembre 1764) une entreprise à méditer longtemps et qui demandait bien des préliminaires[1]. » Les principaux étaient la connaissance complète, autant que possible, du pays, de ses habitants, de leur caractère, de leurs mœurs, de leurs usages, de leur religion, de leur histoire enfin ! « Il demandait qu’on lui fît connaître le nombre et le crédit du clergé, ses maximes, sa conduite relativement à la patrie ; s’il y avait des corps

  1. Le hasard nous a fait découvrir, dans la bibliothèque de Neufchâtel, la lettre originale par laquelle le Prince répondit à Rousseau. Cette lettre offre assez d’intérêt pour être transcrite ici : « Le plus grand abus qu’un monarque puisse faire de la puissance, est d’armer les mains de la tyrannie de forces capables de réduire en servitude une nation généreuse qui défend avec courage les restes de la liberté expirante. Si jamais guerre fut juste, c’est sans contredit celle que les Corses soutiennent depuis si longtemps contre les Génois. Or, si les efforts qu’ils font pour se soustraire à l’oppression sont fondés sur la justice, il s’en suit que le secours que la France envoie aux Génois est le comble de l’iniquité. Ce sont là de ces traits qui font gémir l’humanité et qui dégradent un règne. Le projet de délivrer cette nation malheureuse a passé autrefois par ma tête ; j’ai même fait quelques démarches à cet égard ; mais comme il a échoué, on l’a taxé de folie. Ce-