Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/346

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la nature de l’homme, de ses facultés et de sa destination, m’est cher, quoiqu’il m’humilie ; car je sens combien il nous importe que l’orgueil ne nous fasse pas prendre le change sur ce qui doit faire notre véritable grandeur, et combien il est à craindre qu’à force de vouloir nous élever au-dessus de notre nature nous ne retombions au-dessous d’elle. En tout état de cause il est utile aux hommes, sinon de connaître la vérité, au moins de n’être pas dans l’erreur, et c’en est une, la plus dangereuse de toutes, de craindre moins l’erreur que l’ignorance, et d’aimer mieux, dans une alternative forcée, être vicieux et misérables que pauvres et grossiers.

Mon sentiment a été combattu avec chaleur, ainsi que je l’avais prévu, par une multitude d’écrivains. J’ai répondu jusqu’ici à tous ceux qui m’ont paru en valoir la peine, et je suis bien déterminé à en user de même à l’avenir, non pour ma propre gloire, car ce n’est pas J. J. Rousseau que je veux défendre ; il a dû se tromper souvent : toutes les fois qu’il me paraîtra dans ce cas, je l’abandonnerai sans scrupule et sans peine, même lorsqu’il aura raison, pourvu qu’il ne soit question que de lui seul. Ainsi, tant qu’on se bornera à me reprocher d’avoir publié de mauvais ouvrages, ou de savoir mal raisonner, ou de faire des fautes de langues, ou des erreurs d’histoire, ou de mal écrire ou d’avoir de l’humeur, je serai peu fâché de tous ces reproches, je n’en serai point surpris, et je n’y répondrai jamais. Mais, quant au système que j’ai soutenu, je le défendrai de toute ma force aussi longtemps que je demeurerai convaincu qu’il est celui de la vérité et de la vertu, et que c’est pour l’avoir abandonné mal à propos que la plupart des hommes, dégénérés de leur bonté primitive, sont tombés