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338 FRAGMENT BIOGRAPHIQUE.

écrits de mes adversaires, une seule objection que je n’eusse vue et rebutée d’avance comme indigne d’attention. Je laissai voir mon dédain dans mes répliques, et je défendis la vérité avec un emportement peu digne d’une si bonne cause.

Au moins je n’imitai pas mes adversaires dans leurs personnalités et ne leur rendis pas d’invectives pour celles qu’ils me prodiguaient. Je me bornai toujours à démontrer qu’ils raisonnaient mal. Mais j’avais beau me renfermer dans mon sujet, je ne pus jamais les y ramener ; ils trouvaient toujours mieux leur compte à attaquer ma personne que mes raisons, ou bien ils se perdaient en déclamations vagues qui ne faisaient rien au sujet, et la dispute a fini sans que j’aie jamais pu ramener aucun d’eux au véritable état de la question.

Tandis que la foule des beaux esprits et des artistes s’inquiétaient puérilement de cette querelle, comme si la richesse et l’oisiveté pouvaient se passer de leurs talents et qu’il fût question de mœurs dans un siècle aussi corrompu, tandis que les philosophes, qui ne craignent pas que le vrai génie cesse jamais de briller, digéraient en secret ces nouvelles questions, je m’efforçais de les approfondir et de remonter au principe unique et fondamental qui devait servir à les résoudre.

J’étudiais l’homme en lui-même, et je vis ou je crus voir enfin dans sa constitution le vrai système de la nature qu’on n’a pas manqué d’appeler le mien, quoique pour rétablir je ne fisse qu’ôter de l’homme ce que je montrais qu’il s’était donné : mais je ne me hâtai point de développer ces nouvelles vues ; l’exemple de mes adversaires m’apprenait combien il est nécessaire de réfléchir et de