Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/372

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la nature, ni même par la convention, mais seulement par des opinions chimériques, fut à la fois la moins raisonnable et la plus dangereuse de toutes. Il s’éleva une nouvelle espèce d’hommes singuliers, qui, se portant pour interprètes de choses incompréhensibles, prétendirent assujettir tous les autres à leurs décisions ; substituant adroitement leurs maximes absurdes et intéressées à celles de la droite raison, ils détournèrent insensiblement les peuples des devoirs de l’humanité et des règles de la morale et les assujettirent à des pratiques indifférentes ou criminelles dont ils étaient seuls les dispensateurs et les juges. Ennemis mortels des lois et de leurs ministres, toujours prêts à autoriser les usurpations injustes du magistrat suprême pour usurper plus aisément l’autorité légitime, ils faisaient si bien en parlant toujours de droits purement spirituels, que les biens, la vie et la liberté des citoyens n’étaient en sûreté qu’autant qu’ils se mettaient à leur discrétion. Leur pouvoir était d’autant plus redoutable que, s’érigeant hardiment pour seuls juges en leur propre cause et ne souffrant aucune mesure commune des différences qu’ils mettaient entre eux et les autres hommes, ils bouleversaient et anéantissaient tous les droits humains sans qu’on pût jamais leur prouver qu’ils excédaient les leurs. Enfin, à ne juger des choses que par leur cours naturel, si le ciel n’eût parlé lui-même, si la voix de Dieu n’eût instruit les hommes de la religion qu’ils avaient à suivre, si sa parole n’eût fixé par la révélation les bornes sacrées des deux pouvoirs, on ne sait jusqu’où des prêtres idolâtres et ambitieux, dominant sur les peuples par la superstition et sur les magistrats par la terreur, n’eussent point porté leurs attentats et les misères du genre humain.