Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/49

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autre. Daignerez-vous, en traçant le plan du système politique, coopérer à la félicité de toute une nation ?

Dans la position où est le gouvernement de la Corse, on pourrait y apporter sans inconvénient tous les changements nécessaires : mais cette matière est bien délicate, elle doit être traitée par des personnes qui, comme vous, connaissent les vrais fondements du droit politique et civil de la société et des individus qui la composent. La Corse est à peu près dans la situation que vous fixez pour établir une législation. Elle n’a point encore porté le vrai joug des lois ; elle ne craint point d’être accablée par une invasion subite ; elle peut se passer des autres peuples ; elle n’est ni riche, ni pauvre ; elle peut se suffire à elle-même. Ses préjugés ne seraient pas difficiles à détruire ; et j’ose dire qu’on y trouverait les besoins de la nature joints à ceux de la société.

Des personnes qui n’examinent que les apparences des choses, et qui ne jugent pas des effets par les causes, reprochent aux Corses des vices qui ne leur sont pas propres, mais qui sont ceux de tous les hommes abandonnés à eux-mêmes. Les homicides continuels qui désolaient la Corse sous l’administration génoise donnaient lieu à ces sortes d’imputations ; mais vous savez mieux que personne, monsieur, que les hommes ont le funeste droit de tirer par eux-mêmes la vengeance qui leur est refusée par ceux qui ont le pouvoir légitime de l’exercer. Les Corses aiment la justice ; ils la demandaient à leur prince ; il la doit à tous ; il est constitué à cet objet, et le glaive ne lui a été remis qu’à cette condition. Mais si ce prince, au lieu de punir les coupables, les protège ; s’il est le promoteur des désunions, des guerres civiles, des assassinats et de toutes les horreurs qu’il devrait prévenir, à qui doivent alors s’a-