Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/65

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avait conçues de lui ; il n’aspira qu’à l’honneur de délivrer son pays du joug le plus cruel ; il n’a d’autre ambition que d’y voir régner la liberté.

Je l’estime trop pour ne pas penser qu’il deviendrait volontiers citoyen dans la patrie, après en avoir été le sauveur, si le bien de la nation l’exigeait. Il me semble même que, quand son amour pour le bien public ne l’y porterait pas, la gloire et la célébrité d’un nom dans les siècles à venir l’y résoudraient. Si l’abdication de Sylla, après avoir été le destructeur de sa patrie, lui attira l’estime et l’admiration de ses compatriotes et de toute la terre, avec combien plus de raison n’admirerait-on pas un tel acte dans le général des Corses, après avoir brisé les fers de sa nation ?

Lors de son élévation, son autorité était exorbitante ; il proposait les matières de délibération. Son avis était d’un très-grand poids et décidait presque toujours les affaires. Il jugeait les procès sans appel, il commandait les troupes, c’est-à-dire toute la nation, parce que tout est soldat. Enfin il n’était pas absolu de droit, mais il l’était de fait. Cependant il n’a abusé de rien, il a débrouillé ce chaos. On a formé des magistrats subalternes pour le civil ; on a exigé le conseil suprême, dont le général est le président. Ce corps représente le souverain, quand l’assemblée générale des pièves n’est point réunie.

M. Paoli est simple et frugal dans sa façon de vivre ; uni dans ses vêtements et ses manières ; intègre, plein de droiture et d’équité ; désintéressé, mais économe des revenus de la nation, dont il dispose, et avec lesquels il a fait beaucoup, quoiqu’ils soient très-médiocres. Il est d’une belle taille, blond, les yeux bleus, vifs et pleins de feu ; l’air