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POUR LA CORSE
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sur toute la surface de son territoire, à s’y fixer, à le cultiver dans tous les points ; à aimer la vie champêtre, les travaux qui s’y rapportent ; à y trouver si bien le nécessaire et les agréments de la vie, qu’il ne désire point d’en sortir.

Le goût de l’agriculture n’est pas seulement avantageux à la population en multipliant la subsistance des hommes, mais en donnant au corps de la nation un tempérament et des mœurs qui les font naître en plus grand nombre. Par tout pays, les habitants des campagnes peuplent plus que ceux des villes, soit par la simplicité de la vie rustique, qui forme des corps mieux constitués, soit par l’assiduité au travail, qui prévient le désordre et les vices ; car, toute chose égale, les femmes les plus chastes, celles dont les sens sont moins enflammés par l’usage des plaisirs, font plus d’enfants que les autres, et il n’est pas moins sûr que des hommes énervés par la débauche, fruit certain de l’oisiveté, sont moins propres à la génération que ceux qu’un état laborieux rend plus tempérants.

Les paysans sont attachés à leur sol beaucoup plus que les citadins à leur cité. L’égalité, la simplicité de la vie rustique a, pour ceux qui n’en connaissent point d’autre, un attrait qui ne leur fait pas désirer d’en changer. De là le contentement de son état, qui rend l’homme paisible ; de là l’amour de la patrie, qui l’attache à sa constitution.

La culture de la terre forme des hommes patients et robustes, tels qu’il les faut pour devenir de bons soldats. Ceux qu’on tire des villes sont mutins et mous, ils ne peuvent supporter les fatigues de la guerre, ils se fondent dans les marches ; les maladies les consument ; ils se battent entre eux et fuient devant l’ennemi. Les milices exercées