Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/100

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especes, des tems de chaleur & d’exclusion. De plus, parmi plusieurs de ces animaux, toute l’espece entrant à la fois en effervescence, il vient un moment terrible d’ardeur commune, de tumulte, de désordre & de combat : moment qui n’a point lieu parmi l’espece humaine, où l’amour n’est jamais périodique. On ne peut donc pas conclure des combats de certains animaux pour la possession des femelles, que la même chose arriveroit à l’homme dans l’état de nature ; & quand même on pourroit tirer cette conclusion, comme ces dissentions ne détruisent point les autres especes, on doit penser au moins qu’elles ne seroient pas plus funestes à la nôtre ; & il est tres-apparent qu’elles y causeroient encore moins de ravages, qu’elles ne font dans la société, sur-tout dans les pays où les mœurs étant encore comptées pour quelque chose, la jalousie des amans & la vengeance des époux causent chaque jour des duels, des meurtres, & pis encore ; où le devoir d’une éternelle fidélité ne sert qu’à faire des adulteres, & où les loix mêmes de la continence & de l’honneur étendent nécessairement la débauche, & multiplient les avortements.

Concluons qu’errant dans les forêts, sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre & sans liaison, sans nul besoin de ses semblables, comme sans nul desir de leur nuire, peut-être même sans jamais en reconnoître aucun individuellement, l’homme sauvage, sujet à peu de passions, & se suffisant à lui-même, n’avoit que les sentimens & les lumieres propres à cet état, qu’il ne sentoit que ses vrais besoins, ne regardoit que ce qu’il croyoit avoir intérêt de voir, & que son intelligence ne faisoit pas plus de progrès que sa vanité. Si par hasard il faisoit