Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/108

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tems le maître des uns & le fléau des autres. C’est ainsi que le premier regard qu’il porta sur lui-même, y produisit le premier mouvement d’orgueil ; c’est ainsi que sachant encore à peine distinguer les rangs, & se contemplant au premier par son espece, il se préparoit de loin à y prétendre par son individu.

Quoique ses semblables ne fussent pas pour lui ce qu’ils sont pour nous, & qu’il n’eût gueres plus de commerce avec eux qu’avec les autres animaux, ils ne furent pas oubliés dans ses observations. Les conformités que le tems put lui faire appercevoir entr’eux, sa femelle & lui-même, le firent juger de celles qu’il n’appercevoit pas ; & voyant qu’ils se conduisoient tous comme il auroit fait en pareilles circonstances, il conclut que leur maniere de penser & de sentir étoit entierement conforme à la sienne ; & cette importante vérité, bien établie dans son esprit, lui fit suivre, par un pressentiment aussi sûr & plus prompt que la Dialectique, les meilleures regles de conduite que, pour son avantage & sa sureté, il lui convînt de garder avec eux.

Instruit par l’expérience que l’amour du bien-être est le seul mobile des actions humaines, il se trouva en état de distinguer les occasions rares où l’intérêt commun devoit le faire compter sur l’assistance de ses semblables ; & celles plus rares encore où la concurrence devoit le faire défier d’eux. Dans le premier cas, il s’unissoit avec eux en troupeau, ou tout au plus, par quelque sorte d’association libre qui n’obligeoit personne, & qui ne duroit qu’autant que le besoin passager qui l’avoit formée. Dans le second, chacun cherchoit