Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/249

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Les loix ne sont proprement que les conditions de l’association civile. Le Peuple soumis aux loix en doit être l’auteur ; il n’appartient qu’à ceux qui s’associent de regler les conditions de la société : mais comment les régleront-ils ? Sera-ce d’un commun accord, par une inspiration subite ? Le corps politique a-t-il un organe pour énoncer ses volontés ? Qui lui donnera la prévoyance nécessaire pour en former les actes & les publier d’avance, ou comment les prononcera-t-il au moment du besoin ? Comment une multitude aveugle qui souvent ne sait ce qu’elle veut, parce qu’elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuteroit-elle d’elle-même une entreprise aussi grande aussi difficile qu’un systême de législation ? De lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets tels qu’ils sont, quelquefois tels qu’ils doivent lui paroitre, lui montrer le bon chemin qu’elle cherche, la garantir de la séduction des volontés particulieres, rapprocher à ses yeux les lieux & les tems, balancer l’attrait des avantages présens & sensibles, par le danger des maux éloignés & cachés. Les particuliers voyent le bien qu’ils rejettent ; le public veut le bien qu’il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides : Il faut obliger les uns à conformer leurs volontés à leur raison ; il faut apprendre à l’autre à connoitre ce qu’il veut. Alors des lumieres publiques résulte l’union de l’entendement & de la volonté dans le corps social, de-là l’exact concours des parties, & enfin la plus grande force du tout. Voilà d’où naît la nécessité d’un Législateur.