Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/350

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usage étoit bon tant que l’honnêteté régnoit entre les Citoyens & que chacun avoit honte de donner publiquement son suffrage à un avis injuste ou à un sujet indigne ; mais quand le peuple se corrompit & qu’on acheta les voix, il convint qu’elles se donnassent en secret pour contenir les acheteurs par la défiance, & fournir aux fripons le moyen de n’être pas des traitres.

Je sais que Ciceron blâme ce changement & lui attribue en partie la ruine de la République. Mais quoi que je sente le poids que doit avoir ici l’autorité de Ciceron, je ne puis être de son avis. Je pense, au contraire, que pour n’avoir pas fait assez de changemens semblables on accélera la perte de l’État. Comme le régime des gens sains n’est pas propre aux malades, il ne faut pas vouloir gouverner un peuple corrompu par les mêmes Loix qui conviennent à un bon peuple. Rien ne prouve mieux cette maxime que la durée de la République de Venise, dont le simulacre existe encore, uniquement parce que ses loix ne conviennent qu’à de méchans hommes.

On distribua donc aux Citoyens des tabletes par lesquelles chacun pouvoit voter sans qu’on sut quel étoit son avis. On établit aussi de nouvelles formalités pour le recueillement des tablettes, le compte des voix, la comparaison des nombres &c. Ce qui n’empêcha pas que la fidélité des Officiers chargés de ces fonctions [1] ne fut souvent suspectée. On fit enfin, pour empêcher la brigue & le trafic des suffrages, des édits dont la multitude montre l’inutilité.

  1. (p) Custodes, Diribitores, Rogatores suffragiorum.