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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/424

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c’est avec plus de peine qu’un autre n’obtiendroit grâce : s’il y a des corvées à faire, une milice à tirer, c’est à lui qu’on donne la préférence ; il porte toujours, outre sa charge, celle dont son voisin plus riche a le crédit de se faire exempter : au moindre accident qui lui arrive, chacun s’éloigne de lui : si sa pauvre charrette renverse, loin d’être aidé par personne, je le tiens heureux s’il évite en passant les avanies des gens lestes d’un jeune duc : en un mot, toute assistance gratuite le fuit au besoin, précisément parce qu’il n’a pas de quoi la payer ; mais je le tiens pour un homme perdu, s’il a le malheur d’avoir l’ame honnête, une fille aimable, & un puissant voisin.

Une autre attention non moins importante à faire, c’est que les pertes des pauvres sont beaucoup moins réparables que celles du riche, & que la difficulté d’acquérir croît toujours en raison du besoin. On ne fait rien avec rien ; cela est vrai dans les affaires comme en physique : l’argent est la semence de l’argent, & la premiere pistole est quelquefois plus difficile à gagner que le second million. Il y a plus encore : c’est que tout ce que le pauvre paye, est à jamais perdu pour lui, & reste ou revient dans les mains du riche ; & comme c’est aux seuls hommes qui ont part au Gouvernement, ou à ceux qui en approchent, que passe tôt ou tard le produit des impôts, ils ont, même en payant leur contingent, un intérêt sensible à les augmenter.

Résumons en quatre mots le pacte social des deux états. Vous avez besoin de moi, car je suis riche & vous êtes pauvre ; faisons donc un accord entre nous : je permettrai que