Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/430

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franches, le peuple n’est point foulé, & l’impôt ne tombe que sur les gens aisés. Au reste, toutes ces précautions ne doivent pas tant être dictées par la crainte de la contrebande, que par l’attention que doit avoir le Gouvernement à garantir les particuliers de la séduction des profits illégitimes, qui, après en avoir fait de mauvais citoyens, ne tarderoit pas d’en faire de malhonnêtes gens.

Qu’on établisse de fortes taxes sur la livrée, sur les équipages, sur les glaces, lustres & ameublements, sur les étoffes & la dorure, sur les cours & jardins des hôtels, sur les spectacles de toute espèce, sur les professions oiseuses, comme baladins, chanteurs, histrions, en un mot sucette foule d’objets de luxe, d’amusement & d’oisiveté, qui frappent tous les yeux, & qui peuvent d’autant moins se cacher, que leur seul usage est de se montrer, & qu’ils seroient inutiles s’ils n’étaient vus. Qu’on ne craigne pas que de tels produits fussent arbitraires, pour n’être fondés que sur des choses qui ne sont pas d’une absolue nécessité : c’est bien mal connoître les hommes que de croire qu’après s’être une fois laissé séduire par le luxe, ils y puissent jamais renoncer ; ils renonceroient cent fois plutôt au nécessaire & aimeroient encore mieux mourir de faim que de honte. L’augmentation de la dépense ne sera qu’une nouvelle raison pour la soutenir, quand la vanité de se montrer opulent fera son profit du prix de la chose & des frais de la taxe. Tant qu’il y aura des riches, ils voudront se distinguer des pauvres, & l’Etat ne sauroit se former un revenu moins onéreux ni plus assuré que sur cette distinction.

Par la même raison l’industrie n’auroit rien à souffrir d’un