Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/553

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convient de faire pourroit faire prévoir ce qu’elles feront. Mais ce n’est presque jamais la raison d’Etat qui les guide, c’est l’intérêt momentané d’un ministre, d’une fille, d’un favori ; c’est le motif *

[*W. mss. "c’est le motif" en marges] qu’aucune sagesse humaine n’a pu prévoir qui les détermine tantôt pour tantôt contre, leurs vrais intérêts. De quoi peut-on s’assurer avec des gens qui n’ont aucun systême fixe, & qui ne se conduisent que par des impulsions fortuites ? Rien n’est plus frivole que la science politique des Cours : comme elle n’a nul principe assuré, l’on n’en peut tirer aucune conséquence certaine, & toute cette belle doctrine des intérêts des Princes est un jeu d’enfants qui fait rire les hommes sensés.

Ne vous appuyez donc avec confiance ni sur vos alliés ni sur vos voisins ; vous n’en avez qu’un sur lequel vous puissiez un peu compter. C’est le Grand-Seigneur, & vous ne devez rien épargner pour vous en faire un appui : non que ses maximes d’Etat soient beaucoup plus certaines que celles des autres puissances. Tout y dépend également d’un Vizir d’une Favorite d’une intrigue de serrail ; mais l’intérêt de la Porte est clair, simple, il s’agit de tout pour elle, & généralement il y regne avec bien moins de lumieres & de finesse, plus de droiture & de bon sens. On a du moins avec elle cet avantage de plus qu’avec les puissances chrétiennes, qu’elle aime à remplir ses engagemens & respecte ordinairement les traités. Il faut tâcher d’en faire avec elle un pour vingt ans, aussi fort, aussi clair qu’il sera possible. Ce traité, tant qu’une autre puissance cachera ses projets, sera le meilleur peut-être le seul garant que vous puissiez avoir, & dans l’état où la