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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/211

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à Assens à deux lieues de Lausanne. Je faisois ordinairement cette course avec d’autres catholiques, sur-tout avec un brodeur Parisien, dont j’ai oublié le nom. Ce n’étoit pas un Parisien comme moi, c’étoit un vrai Parisien de Paris, un archiparisien du bon Dieu, bon homme comme un Champenois. Il aimoit si fort son pays qu’il ne voulut jamais douter que j’en fusse, de peur de perdre cette occasion d’en parler. M. de Crouzas, Lieutenant-Baillival, avoit un jardinier de Paris aussi ; mais moins complaisant & qui trouvoit la gloire de son pays compromise à ce qu’on osât se donner pour en être lorsqu’on n’avoit pas cet honneur. Il me questionnoit de l’air d’un homme sûr de me prendre en faute & puis sourioit malignement. Il me demanda une fois ce qu’il y avoit de remarquable au marché-neuf. Je battis la campagne, comme on peut croire. Après avoir passé vingt ans à Paris, je dois à présent connoître cette ville. Cependant si l’on me faisoit aujourd’hui pareille question, je ne serois pas moins embarrassé d’y répondre & de cet embarras on pourroit aussi-bien conclure que je n’ai jamais été à Paris. Tant lors-même qu’on rencontre la vérité, l’on est sujet à se fonder sur des principes trompeurs !

Je ne saurois dire exactement combien de tems je demeurai à Lausanne. Je n’apportai pas de cette ville des souvenirs bien rappellans. Je sais seulement que, n’y trouvant pas à vivre, j’allai de là à Neuchâtel & que j’y passai l’hiver. Je réussis mieux dans cette derniere ville ; j’y eus des écoliers & j’y gagnai de quoi m’acquitter avec mon bon ami Perrotet, qui m’avoit fidellement envoyé mon petit bagage, quoique je lui redusse assez d’argent.