Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/397

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il s’y joignit tant de circonstances bizarres ; tant de propos obscurs & de réticences l’accompagnerent ; on m’en parloit d’un air si risiblement discret que tous ces mysteres m’inquiéterent. J’ai toujours haï les ténebres, elles m’inspirent naturellement une horreur que celles dont on m’environne depuis tant d’années n’ont pas dû diminuer. Parmi toutes les singularités de cette époque je n’en remarquerai qu’une, mais suffisante pour faire juger des autres.

M. ***. avec lequel je n’avois eu jamais aucune relation, envoya son secrétaire s’informer de mes nouvelles, & me faire d’instantes offres de service qui ne me parurent pas dans la circonstance, d’une grande utilité pour mon soulagement. Son secrétaire ne laissa pas de me presser très-vivement de me prévaloir de ses offres, jusqu’à me dire que si je ne me fiois pas à lui, je pouvois écrire directement à M. ***. Ce grand empressement & l’air de confidence qu’il y joignit, me firent comprendre qu’il y avoit sous tout cela quelque mystere que je cherchois vainement à pénétrer. Il n’en falloit pas tant pour m’effaroucher sur-tout dans l’état d’agitation où mon accident & la fievre qui s’y étoit jointe avoit mis ma tête. Je me livrois à mille conjectures inquiétantes & tristes, & je faisois sur tout ce qui se passoit autour de moi, des commentaires qui marquoient plutôt le délire de la fievre, que le sang-froid d’un homme qui ne prend plus d’intérêt à rien.

Un autre événement vint achever de troubler ma tranquillité. Madame ***. m’avoit recherché depuis quelques années, sans que je pusse deviner pourquoi. De petits cadeaux affectés, de fréquentes visites sans objet & sans plaisir, me mar-