Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/93

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âge & il est peu probable qu’elle eût eu un heureux succès. Les choses étoient trop avancées pour qu’on voulût en avoir le démenti, & plus ma résistance eût été grande, plus de maniere ou d’autre on se fût fait une loi de la surmonter.

Le sophisme qui me perdit est celui de la plupart des hommes, qui se plaignent de manquer de force quand il est déjà trop tard pour en user. La vertu ne nous coûte que par notre faute, & si nous voulions être toujours sages, rarement aurions-nous besoin d’être vertueux. Mais des penchans faciles à surmonter nous entraînent sans résistance : nous cédons à des tentations légeres dont nous méprisons le danger. Insensiblement nous tombons dans des situations périlleuses dont nous pouvions aisément nous garantir, mais dont nous ne pouvons plus nous tirer sans des efforts héroïques qui nous effrayent, & nous tombons enfin dans l’abîme, en disant à Dieu : pourquoi m’as-tu fait si foible ? Mais malgré nous il répond à nos consciences ; je t’ai fait trop foible pour sortir du gouffre, parce que je t’ai fait assez fort pour n’y pas tomber.

Je ne pris pas précisément la résolution de me faire catholique : mais voyant le terme encore éloigné, je pris le tems de m’apprivoiser à cette idée, & en attendant je me figurois quelque événement imprévu qui me tireroit d’embarras. Je résolus pour gagner du tems de faire la plus belle défense qu’il me seroit possible. Bientôt ma vanité me dispensa de songer à ma résolution, & dès que je m’apperçus que j’embarrassois quelquefois ceux qui vouloient m’instruire, il ne m’en fallut pas davantage pour chercher à les terrasser tout-à-fait.