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DU SUJET

qui me désabuseroient, en me ramenant à de meilleurs jugemens substitueroient dans mon cœur la gratitude à l’indignation, & me rendroient sensible & reconnoissant en me montrant mon devoir à l’être : ce n’est pas-la, cependant, le seul motif qui m’ait mis la plume à la main. Un autre encore plus fort & non moins légitime se fera sentir dans cet écrit. Mais je proteste qu’il n’entre plus dans ces motifs l’espoir ni presque le désir d’obtenir enfin de ceux qui m’ont jugé la justice qu’ils me refusent, & qu’ils sont bien déterminés à me refuser toujours.

En voulant exécuter cette entreprise je me suis vu dans un bien singulier embarras ! Ce n’étoit pas de trouver des raisons en faveur de mon sentiment, c’étoit d’en imaginer de contraires, c’étoit d’établir sur quelque apparence d’équité des procèdes ou je n’en apercevois aucune. Voyant cependant tout Paris toute la France toute l’Europe se conduire à mon égard avec la plus grande confiance sur des maximes si nouvelles si peu concevables pour moi, je ne pouvois supposer que cet accord unanime n’eût aucun fondement raisonnable ou du moins apparent, & que toute une génération s’accordât a vouloir éteindre à plaisir toutes les lumières naturelles, violer toutes les loix de la justice toutes les regles du bon sens, sans objet sans profit sans prétexte, uniquement pour satisfaire une fantaisie dont je ne pouvois pas même appercevoir le but & l’occasion. Le silence profond universel, non moins inconcevable que le mystere qu’il couvre, mystere que depuis quinze ans on me cache avec un soin que je m’abstiens