Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/362

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d’avoir avec lui des relations bien étroites, il n’ignore pas que ce voisinage ces visites ces lettres lui viennent de plus loin, & tandis que tant de gens se tourmentent à lui faire faire des livres dont le dernier cuistre rougiroit d’être l’auteur, il pleure amèrement les dix ans de sa vie employés à en faire d’un peu moins plats.

Voila, Monsieur, les raisons qui l’ont force de changer de conduite avec ceux qui l’approchent, & de résister aux penchans de son cœur pour ne pas s’enlacer lui-même, dans les piégés tendus autour de lui. J’ajoute à cela que son naturel timide & son goût éloigne de toute ostentation ne sont pas propres à mettre en évidence son penchant à faire du bien, & peuvent même dans une situation si triste l’arrêter quand il auroit l’air de se mettre en scene. Je l’ai vu dans un quartier très-vivant de Paris s’abstenir malgré lui d’une bonne œuvre qui se presentoit, ne pouvant se résoudre à fixer sur lui les regards malveillans de deux cents personnes, & dans un quartier peu éloigne mais moins fréquente je l’ai vu se conduire différemment dans une occasion pareille. Cette mauvaise honte ou cette blâmable fierté me semble bien naturelle à un infortune sur d’avance que tout ce qu’il pourra faire de bien sera mal interprète. Il vaudroit mieux sans doute braver l’injustice du public ; mais avec une ame haute & un naturel timide, qui peut se résoudre en faisant une bonne action qu’on acculera d’hypocrisie, de lire dans les yeux des spectateurs l’indigne jugement qu’ils en portent ? Dans une pareille situation celui qui voudroit faire encore du bien s’en cacheroit comme d’une mauvaise œuvre, & ce ne seroit pas ce secret la qu’on iroit épiant pour le publier.