Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/87

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une liberté du moins apparente, ne faloit-il pas l’empêcher d’en pouvoir abuser ? Ne faloit-il pas en le laissant au milieu des citoyens s’attacher à le leur bien faire connoitre ? Peut-on voir un serpent se glisser dans la place publique sans crier à chacun de se garder du serpent ? N’étoit-ce pas surtout une obligation particuliere pour les sages qui ont eu l’adresse d’écarter le masque dont il se couvroit depuis quarante ans & de le voir les premiers à travers ses déguisemens tel qu’ils le montrent depuis lors à tout le monde ? Ce grand devoir de le faire abhorrer pour l’empêcher de nuire, combine avec le tendre intérêt qu’il inspire à ces hommes sublimes, est le vrai motif des soins infinis qu’ils prennent, des dépenses immenses qu’ils sont, pour l’entourer de tant de piégés, pour le livrer à tant de mains, pour l’enlacer de tant de façons qu’au milieu de cette liberté feinte il ne puisse ni dire un mot ni faire un pas ni mouvoir un doigt qu’ils ne le sachent & ne le veuillent. Au fond tout ce qu’on en fait n’est que pour son bien, pour éviter le mal qu’on seroit contraint de lui faire & dont on ne peut le garantir autrement. Il falloit commencer par l’éloigner de ses anciennes connoissances pour avoir le tems de les bien endoctriner ; on l’a fait décréter à Paris ; quel mal lui a-t-on fait ? Il faloit, par la même raison, l’empêcher de s’établir à Geneve ; on l’y a fait décréter aussi ; quel mal lui a-t-on fait ? on l’a fait lapider à Motiers ; mais les cailloux qui cassoient ses fenêtres & ses portes ne l’ont point atteint ; quel mal donc lui ont-ils fait ? On l’a fait chasser à l’entrée de l’hiver de l’Isle solitaire ou il s’étoit réfugié & de toute