Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/127

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l’infini passeroit toujours les bornes de mon entendement ; que ne devant jamais espérer de concevoir pleinement le systême de la nature, tout ce que je pouvois faire étoit de le considérer par les côtés que je pouvois saisir ; qu’il falloir savoir ignorer en paix tout le reste, & j’avoue que dans ces recherches je pensai comme les gens dont vous parlez, qui ne rejettent pas une vérité claire ou suffisamment prouvée, pour les difficultés qui l’accompagnent & qu’on ne sauroit lever. J’avois alors, je l’avoue, une confiance si téméraire, ou du moins une si forte persuasion, que j’aurois défié tout philosophe de proposer aucun autre systême intelligible sur la nature, auquel je n’eusse opposé des objections plus fortes, plus invincibles, que celles qu’il pouvoit m’opposer sur le mien, & alors il falloit me résoudre à rester sans rien croire, comme vous faites, ce qui ne dépendoit pas de moi, ou mal raisonner, ou croire comme j’ai fait.

Une idée qui me vint il y a trente ans, a peut-être plus contribué qu’aucune autre à me rendre inébranlable. Supposons, me disois-je, le genre-humain vieilli jusqu’à ce jour dans le plus complet matérialisme, sans que jamais idée de divinité ni d’ame soit entrée dans aucun esprit humain. Supposons que l’athéisme philosophique ait épuisé tous ses systêmes pour expliquer la formation & la marche de l’univers par le seul jeu de la matiere & du mouvement nécessaire, mot auquel du reste je n’ai jamais rien conçu. Dans cet état, Monsieur, excusez ma franchise, je supposois encore ce que j’ai toujours vu, & ce que je sentois devoir être ; qu’au lieu de se reposer tranquillement dans ces systêmes, comme dans le sein de la vérité, leur inquiets