Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/129

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qu’une doctrine si belle, si sublime, si douce, & si consolante pour tout homme juste, eût réellement excité tous les hommes à la vertu, & que ce beau mot d’humanité rebattu maintenant jusqu’à la fadeur, jusqu’au ridicule, par les gens du monde les moins humains, eût été plus empreint dans les cœurs que dans les livres. Il eût donc suffi d’une simple transposition de tems pour faire prendre tout le contre-pied à la mode philosophique, avec cette différence que celle d’aujourd’hui malgré son clinquant de paroles, ne nous promet pas une génération bien estimable, ni des philosophes bien vertueux.

Vous objectez, Monsieur, que si Dieu eût voulu obliger les hommes à le connoître, il eût mis son existence en évidence à tous les yeux. C’est à ceux qui sont de la foi en Dieu un dogme nécessaire au salut de répondre à cette objection, & ils y répondent par la révélation. Quant à moi qui crois en Dieu sans croire cette soi nécessaire, je ne vois pas pourquoi Dieu se seroit obligé de nous la donner. Je pense que chacun sera jugé, non sur ce qu’il a cru, mais sur ce qu’il a fait, & je ne crois point qu’un systême de doctrine soit nécessaire aux œuvres, parce que la conscience en tient lieu.

Je crois bien, il est vrai, qu’il faut être de bonne foi dans sa croyance, & ne pas s’en faire un systême favorable à nos passions. Comme nous ne sommes pas tout intelligence, nous ne saurions philosopher avec tant de désintéressement que notre volonté n’influe un peu sur nos opinions ; l’on peut souvent juger des secretes inclinations d’un homme par ses sentimens purement spéculatifs ; & cela posé, je pense qu’il se pourroit bien que celui qui n’a pas voulu croire fût puni pour n’avoir pas cru.