Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/146

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qui fait le commerce, & même qui ruse avec l’acheteur. Si je fais l’aumône pour me faire estimer charitable & jouir des avantages attachés à cette estime, je ne suis encore qu’un marchand qui achete de la réputation. Il en est à-peu-prés de même, je ne fais cette aumône que pour me délivre de l’importunité d’un gueux ou du spectacle de sa misere ; tous les actes de cette espece qui ont en vue un

avantage extérieur ne peuvent porter le nom de bonnes actions, & l’on ne dit pas d’un marchand qui a bien fait ses affaires, qu’il s’y est comporté vertueusement.

Il y a un autre intérêt qui ne tient point aux avantage de la société, qui n’est relatif qu’à nous-mêmes, au bien de notre ame, à notre bien-être absolu, & que pour cela j’appelle intérêt spirituel ou moral par opposition au premier. Intérêt qui, pour n’avoir pas des objets sensibles, matériels, n’en est pas moins vrai, pas moins grand, pas moins, solide, & pour tout dire en un mot, le seul qui tenant intimement à notre nature, tende à notre véritable bonheur. Voilà, Monsieur, l’intérêt que la vertu se propose & qu’elle doit se proposer, sans rien ôter au mérite, à la pureté, à la bonté morale des actions qu’elle inspire.

Premièrement, dans le systême de la religion, c’est-à-dire, des peines & des récompenses de l’autre vie, vous voyez l’intérêt de plaire à l’Auteur de notre être & au juge suprême de nos actions, est d’une importance qui l’emporte sur les plus grands maux, qui fait voler au martyre les vrais croyans, en même tems d’une pureté qui peut ennoblir les plus sublimes devoirs. La loi de bien faire est tirée de la raison