Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/17

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À la chaîne politique, qui réunissoit ainsi tous les membres en un corps, se joignirent les institutions civiles & les loix qui donnerent une nouvelle force à ces liens, en déterminant d’une manière équitable, claire & précise, du moins autant qu’on le pouvoit dans un si vaste Empire, les devoirs & les droits réciproques du Prince & des sujets, & ceux des citoyens entr’eux. Le code de Théodose, & ensuite les livres de Justinien, furent une nouvelle chaîne de justice & de raison, substituée à propos à celle du pouvoir souverain, qui se relâchoit très-sensiblement. Ce supplément retarda beaucoup la dissolution de l’Empire, & lui conserva long-tems une sorte de juridiction sur les Barbares mêmes qui le désoloient.

Un troisième lien, plus fort que les précédente, fut celui de la Religion ; & l’on ne peut nier que ce ne soit surtout au Christianisme que l’Europe doit encore aujourd’hui l’espèce de société qui s’est perpétuée entre ses membres : tellement que celui des membres qui n’a point adopté sur ce point le sentiment des autres, est toujours demeuré comme étranger parmi eux. Le Christianisme, si méprisé à sa naissance, servit enfin d’asyle à ses détracteurs. Après l’avoir si cruellement & si vainement persécuté, l’Empire Romain y trouva les ressources qu’il n’avoit plus dans ses forces ; ses missions lui valoient mieux que des victoires ; il envoyoit des évêques réparer les fautes de ses généraux, & triomphoit par ses prêtres quand ses soldats étoient battus. C’est ainsi que les Francs, les Goths, les Bourguignons, les Lombards, les Avares, & mille autres reconnurent enfin l’autorité de l’Empire après l’avoir subjugué, & reçurent du moins en apparence, avec la loi