Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/296

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on dit qu’étoient celles de l’ancienne Rome. On ne croit plus parcourir des déserts quand on trouve des clochers parmi les sapins, des troupeaux sur des rochers, des manufactures dans des précipices, des atteliers sur des torrens. Ce mélange bizarre a je ne sais quoi d’animé, de vivant, qui respire la liberté, le bien-être, & qui sera toujours du pays où il se trouve spectacle unique en son genre, mais fait seulement pour, des yeux qui sachent voir.

Cette égale distribution vient du grand nombre de petits Etats qui divisent les Capitales, de la rudesse du pays, qui rend les transports difficiles, & de la nature des productions, qui, consistant pour la plupart en pâturages, exige que la consommation s’en fasse sur les lieux mêmes, & tient les hommes aussi dispersés que les bestiaux. Voilà le plus grand avantage de la Suisse, avantage que ses habitans regardent peut-être comme un malheur, mais qu’elle tient d’elle seule, que rien ne peut lui ôter ; qui malgré eux contient ou retarde le progrès du luxe & des mauvaises mœurs, & qui réparera toujours à la longue l’étonnante déperdition d’hommes qu’elle fait dans les pays étrangers.

Voilà le bien : voici le mal amené par ce bien même. Quand les Suisses, qui jadis vivant renfermés dans leurs montagnes suffisoient à eux-mêmes, ont commencé à communiquer avec d’autres nations, ils ont pris goût à leur maniere de vivre & ont voulu l’imiter ; ils se sont, apperçus que l’argent étoit une bonne chose & ils ont voulu en avoir ; sans productions & sans industrie pour l’attirer, ils se sont mis en commerce eux-mêmes, ils se sont vendus en détail aux puissances, ils