Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/322

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tout depuis qu’on y a établi des manufactures de toile peint & que les travaux d’horlogerie & de dentelle s’y multiplient. Pour y avoir du pain mangeable, il faut le faire chez soi, & c’est le parti que j’ai pris à l’aide de Mlle. le Vasseur ; la viande y est mauvaise, non que le pays n’en produise de bonne, mais tout le bœuf va à Geneve ou à Neufchâtel & l’on ne tue ici que de la vache. La riviere fournit d’excellente truite, mais si délicate qu’il faut la manger sortant de l’eau. Le vin vient de Neufchâtel, & il est très-bon, sur-tout le rouge : pour moi je m’en tiens au blanc bien moins violent, à meilleur marché, & selon moi, beaucoup plus sain. Point de volaille, peu de gibier, point de fruit, pas même des pommes ; seulement des fraises bien parfumées, en abondance & qui durent long-tems. Le laitage y est excellent, moins pourtant que le fromage de Viry préparé par Mademoiselle Rose ; les eaux y sont claires & légeres : ce n’est pas pour moi une chose indifférent que de bonne eau, & je me sentirai long-tems du mal que m’a fait celle de Montmorenci. J’ai sous ma fenêtre une très-belle fontaine dont le bruit fait une de mes délices. Ces fontaines, qui sont élevées & taillées en colonnes ou en obélisques & coulent par des tuyaux de fer dans de grands bassins, sont un des ornemens de la Suisse. Il n’y a si chétif village qui n’en ait au moins deux ou trois, les maisons écartées ont presque chacune la sienne, & l’on en trouve même sur les chemins pour la commodité des passans, hommes & bestiaux. Je saurois exprimer combien l’aspect de toutes ces belles eaux coulantes est agréable au milieu des rochers & des bois durant les chaleurs, l’on est déjà rafraîchi par la vue, & l’on est tenté d’en boire sans avoir soif.