Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/373

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& comme alors je suis seul le centre de cet ordre, il seroit absurde & contradictoire qu’il ne me fît pas rapporter toutes choses à mon bien particulier. Or, la vertu suppose un combat contre nous-mêmes, & c’est la difficulté de la victoire qui en fait la mérite ; mais dans la supposition, pourquoi ce combat ? Toute raison, tout motif y manque. Ainsi, point de vertu possible par le seul amour de l’ordre.

Le sentiment intérieur est un motif très -puissant sans doute. Mais les passions & l’orgueil l’alterent & l’étouffent de bonne heure dans presque tous les cœurs. De tous les sentimens que nous donne une conscience droite, les deux plus forts & les seuls fondemens de tous les autres, sont celui de la dispensation d’une providence, & celui de l’immortalité de l’ame. Quand ces deux-là sont détruits, je ne vois plus ce qui peu rester. Tant que le sentiment intérieur me diroit quelque chose il me défendroit, si j’avois le malheur d’être sceptique, d’alarmer ma propre mere des doutes que je pourrois avoir.

L’amour de soi-même est le plus puissant, &, selon moi, le seul motif qui fasse agir les hommes. Mais, comment la vertu, prise absolument & comme un être métaphysique, se fonde-t-elle sur cet amour-là ? C’est ce qui me passe. Le crime, dites-vous, est contraire à celui qui le commet ; cela est toujours vrai dans mes principes, & souvent très-faux dans les vôtres. Il faut distinguer alors les tentations, les positions, l’espérance plus ou moins grande qu’on a qu’il reste inconnu ou impuni. Communément le crime a pour motif d’éviter un grand mal ou d’acquérir un grand bien ; souvent il parvient à son but. Si ce sentiment n’est pas naturel, quel sentiment