Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/396

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vous croyez bonnement vous proposer. Vous voudriez, dites- vous, vous mettre en état d’entendre les autres. Avez -vous besoin d’un nouvel acquis pour cela ? Je ne sais pas au vrai, quelle opinion vous avez de votre intelligence actuelle ; mais dussiez-vous avoir pour amis des Œdipes, j’ai peine à croire que vous soyez sort curieuse de jamais entendre les gens que vous ne pouvez entendre aujourd’hui. Pourquoi donc tant de soins pour obtenir ce que vous avez déjà ? Non, Henriette, ce n’est pas cela ; mais quand vous serez une Sybille, vous voulez prononcer des oracles ; votre vrai projet n’est pas tant d’écouter les autres, que d’avoir vous-même des auditeurs. Sous prétexte de travailler pour l’indépendance, vous travaillez encore pour la domination. C’est ainsi que, loin d’alléger le poids de l’opinion qui vous rend malheureuse, vous voulez en aggraver le joug. Ce n’est pas le moyen de vous procurer des réveils plus sereins.

Vous croyez que le seul soulagement du sentiment pénible qui vous tourmente, est de vous éloigner de vous. Moi, tout au contraire, je crois que c’est de vous en rapprocher.

Toute votre lettre est pleine de preuves que jusqu’ici, l’unique but de toute votre conduite, a été de vous mettre avantageusement sous les yeux d’autrui. Comment, ayant réussi dans le public autant que personne, & en rapportant si peu de satisfaction intérieure, n’avez-vous pas senti que ce n’étoit pas là le bonheur qu’il vous falloit, & qu’il étoit tems de changer de plan ? Le vôtre peut être bon pour la gloire, mais il est mauvais pour la félicité. Il ne faut point chercher à s’éloigner de soi, parce que cela n’est pas possible, & que tout