Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/524

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vous prétendez par les détails indécens que vous m’osez faire : mais il est difficile de les lire, sans vous croire un menteur, ou un impuissant.

L’amour peut épurer les sens, je le sais ; il est cent fois plus facile à un véritable amant d’être sage qu’à un autre homme : l’amour qui respecte son objet, en chérit la pureté ; c’est une perfection de plus qu’il y trouve, & qu’il craint de lui ôter. L’amour-propre dédommage un amant des privations qu’il s’impose, en lui montrant l’objet qu’il convoite, plus digne des sentimens qu’il a pour lui. Mais si sa maîtresse, une fois livrée à ses caresses, a déjà perdu toute modestie ; si son corps est en proie à ses attouchemens lascifs ; si son cœur brûle de tous les feux qu’ils y portent ; si sa volonté même déjà corrompue, la livre à sa discrétion, je voudrois bien savoir ce qui lui reste à respecter en elle.

Supposons qu’après avoir ainsi souillé la personne de votre maîtresse, vous ayez obtenu sur vous-même l’étrange victoire dont vous vous vantez, & que vous en ayez le mérite, l’avez-vous obtenue sur elle, sur ses desirs, sur ses sens même ? Vous vous vantez de l’avoir sait pâmer entre vos bras. Vous vous êtes donc ménagé le sot plaisir de la voir pâmer seule. Et c’étoit-là l’épargner selon vous ? non, c’étoit l’avilir. Elle est plus méprisable que si vous en eussiez joui. Voudriez-vous d’une femme qui seroit sortie ainsi des mains d’un autre ? Vous appeliez pourtant tout cela des sacrifices à la vertu. Il faut que vous ayez d’étranges idées de cette vertu dont vous parlez, & qui ne vous laisse pas même le moindre scrupule d’avoir déshonoré la fille d’un homme dont vous