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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/546

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connoître autrement que par la réputation littéraire, vous vous empressez à m’offrir dans mes malheurs, vos amis & vos soins ; touché de votre générosité, je me jette entre vos bras ; vous m’amenez en Angleterre, en apparence pour m’y procurer un asyle, & en effet pour m’y déshonorer. Vous vous applique à cette noble œuvre avec un zele digne de votre cœur, & avec un art digne de vos talens. Il n’en falloit pas tant pour réussir ; vous vivez dans le grand monde, & moi dans la retraite ; le public aime à être trompé & vous êtes fait pour le tromper. Je connois pourtant un homme que vous ne tromperez pas c’est vous-même. Vous savez avec quelle horreur mon cœur repoussa le premier soupçon de vos desseins. Je vous dis, en vous embrassant les yeux en larmes, que si vous n’étiez pas le meilleur des hommes, il faudroit que vous en fussiez le plus noir. En pensant à votre conduite secrete, vous vous direz quelquefois que vous n’êtes pas le meilleur des hommes ; & je doute qu’avec cette idée, vous en soyez jamais le plus heureux.

Je laisse un libre cours aux manœuvres de vos amis & aux vôtres, & je vous abandonne avec peu de regret ma réputation durant ma vie, bien sûr qu’un jour on nous rendra justice à tous deux. Quant aux bons offices en matiere d’intérêt, avec lesquels vous vous masquez, je vous en remercie & vous en dispense. Je me dois de n’avoir plus de commerce avec vous & de n’accepter, pas même à mon avantage, aucune affaire dont vous soyez le médiateur. Adieu, Monsieur, je vous souhaite le plus vrai bonheur ; mais comme nous ne devons plus rien avoir à nous dire, voici la derniere lettre que vous recevrez de moi.