Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/549

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mal & tant de bien, l’emporta. Sûr de ne pas perdre George Keith, j’étois flatté d’acquérir David Hume. Son mérite, ses rares talens, l’honnêteté bien établie de son caractere, me faisoient desirer de joindre son amitié à celle dont m’honoroit son illustre compatriote ; & je me faisois une sorte de gloire de montrer un bel exemple aux gens de Lettres dans l’union sincere de deux hommes dont les principes étoient si différens.

Avant l’invitation du Roi de Prusse & de Mylord Maréchal, incertain sur le lieu de ma retraite, j’avois demandé & obtenu par mes amis un passeport de la Cour de France, dont je me servis pour aller à Paris joindre M. Hume. Il vit, & vit trop peut-être, l’accueil que je reçus d’un grand Prince, &, j’ose dire, du Public. Je me prêtai par devoir, mais avec répugnance à cet éclat, jugeant combien l’envie de mes ennemis en seroit irritée. Ce fut un spectacle bien doux pour moi que l’augmentation sensible de bienveillance pour M. Hume, que la bonne œuvre qu’il alloit faire produisit dans tout Paris. Il devoit en être touché comme moi ; je ne sais s’il le fut de la même maniere.

Nous partons avec un de mes amis qui presqu’uniquement pour moi faisoit le voyage d’Angleterre. En débarquant à Douvres, transporté de toucher enfin cette terre de liberté & d’y être amené par cet homme illustre, je lui faute au cou, je l’embrasse étroitement sans rien dire, mais en couvrant son visage de baisers & de larmes qui parloient assez. Ce n’est pas la seule fois ni la plus remarquable où il ait pu voir en moi les saisissemens d’un cœur pénétré. Je ne sais ce qu’il fait de