Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/578

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que deux seules exceptions, dont l’une est pour M. Du Peyrou ; je crois superflu de vous dire quelle est l’autre ; désormais tout à l’amitié, n’existant plus que par elle, vous sentez que j’ai plus besoin que jamais d’avoir quelquefois de vos lettres.

Je suis très-heureux d’avoir pris du goût pour la botanique. Ce goût se change insensiblement en une passion d’enfant, ou plutôt en un radotage inutile & vain : car je n’apprends aujourd’hui qu’en oubliant ce que j’appris hier, mais n’importe. Si je n’ai jamais le plaisir de savoir, j’aurai toujours celui d’apprendre, & c’est tout ce qu’il me faut. Vous ne sauriez croire combien l’étude des plantes jette d’agrément sur mes promenades solitaires. J’ai eu le bonheur de me conserver un cœur assez sain, pour que les plus simples amusemens lui suffisent, & j’empêche, en m’empaillant la tête, qu’il n’y reste place pour d’autres fatras.

L’occupation pour les jours de pluie, fréquens en ce pays, est d’écrire ma vie. Non ma vie extérieure comme les autres ; mais ma vie réelle, celle de mon ame, l’histoire de mes sentimens les plus secrets. Je ferai ce que nul homme n’a fait avant moi, & ce que vraisemblablement nul autre ne sera dans la suite. Je dirai tout, le bien, le mal, tout enfin ; je me sens une ame qui se peut montrer. Je suis loin de cette époque chérie de 1762, mais j’y viendrai, je l’espere. Je recommencerai du moins en idée ces pélerinages de Colombier, qui furent les jours les plus purs de ma vie. Que ne peuvent-ils recommencer encore & recommencer sans cesse ! Je ne demanderois point d’autre éternité.

M. Du Peyrou me marque qu’il a reçu les trois cents louis.