Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/595

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cœur le prix qu’elle reçoit du vôtre. En vous lisant, en vous aimant par conséquent, j’ai souvent desiré d’être connu & aimé de vous. Je ne m’attendois pas que ce seroit vous qui seriez les avances, & cela précisément au moment où j’étois universellement abandonné : mais la générosité ne sait rien faire à demi, & votre lettre en a bien la plénitude. Qu’il seroit beau que l’ami des hommes donnât retraite à l’ami de l’égalité ! Votre offre m’a si vivement pénétré, j’en trouve l’objet si honorable à & l’un & à l’autre, que par un autre effet bien contraire vous me rendrez malheureux peut-être, par le regret de n’en pas profiter : car quelque doux qu’il me fût d’être votre hôte, je vois peu d’espoir à le devenir. Mon âge plus avancé que le vôtre, le grand éloignement, mes maux qui me rendent les voyages très-pénibles, l’amour du repos, de la solitude, le desir d’être oublié pour mourir en paix, me sont redouter de me rapprocher des grandes villes où mon voisinage pourroit réveiller une sorte d’attention qui fait mon tourment. D’ailleurs, pour ne parler que de ce qui me tiendroit plus près de vous, sans douter de ma sureté du côté du Parlement de Paris, je lui dois respect de ne pas aller le braver dans son ressort, comme pour lui faire avouer tacitement son injustice ; je le dois à votre Ministere, à qui trop de marques affligeantes me sont sentir que j’ai eu le malheur de déplaire ; & cela sans que j’en puisse imaginer d’autre cause qu’un mal-entendu d’autant plus cruel que sans lui ce qui m’attira mes disgraces m’eût dû mériter des faveurs. Dix mots d’explication prouveroient cela ; mais c’est un des malheurs attachés à la puissance humaine & à ceux qui lui sont soumis, que quand les Grands sont une fois dans l’erreur