Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/62

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attentive à ses immenses préparatifs en attendoit l’effet avec une sorte de frayeur. Un léger prétexte alloit commencer cette grande révolution, une guerre qui devoit être la derniere, préparoit une paix immortelle, quand un événement dont l’horrible mystère doit augmenter l’effroi vint bannir à jamais le dernier espoir du monde. Le même coup qui trancha les jours de ce bon Roi replongea l’Europe dans d’éternelles guerres qu’elle ne doit plus espérer de voir finir. Quoi qu’il en soit, voilà les moyens que Henri IV avoit rassemblée pour former le même établissement que l’Abbé de St. Pierre prétendoit faire avec un livre.

Qu’on ne dise donc point que si son systême n’a pu été adopté, c’est qu’il n’étoit pas bon ; qu’on dise au contraire qu’il étoit trop bon pour être adopté ; car le mal & les abus dont tant de gens profitent s’introduisent d’eux-mêmes ; mais ce qui est utile au public ne s’introduit gueres que par la force, attendu que les intérêts particuliers y sont presque toujours opposés. Sans doute la paix perpétuelle est à présent un projet bien absurde ; mais qu’on nous rende un Henri IV & un Sully, la paix perpétuelle redeviendra un projet raisonnable, ou plutôt, admirons un si beau plan, mais consolons-nous de ne pas le voir exécuter ; car cela ne peut se faire que par des moyens violens & redoutables à l’humanité. On ne voit point de ligues fédératives s’établir autrement que par des révolutions : & sur ce principe, qui de nous oseroit dire si cette ligue Européenne est à désirer ou à craindre ? Elle feroit peut-être plus de mal tout-d’un-coup quelle n’en préviendroit pour des siecles.

FIN.