Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/656

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de disposer de sa propre vie, sans cependant pouvoir se résoudre à survivre à son déshonneur, dont la perte, même injuste, entraîne des malheurs civils pires cent sois que la mort. Sur ce chapitre de l’honneur, l’insuffisance des loix nous laisse toujours dans l’état de nature ; je crois cela prouvé dans ma lettre à M. d’Alembert sur les spectacles. L’honneur d’un homme ne peut avoir de vrai défenseur, ni de vrai vengeur que lui-même ; loin qu’ici la clémence qu’en tout autre cas prescrit la vertu, soit permise, elle est défendue, & laisser impuni son déshonneur, c’est y consentir ; on lui doit sa vengeance ; on se la doit à soi-même ; on la doit même à la société, & aux autres gens d’honneur qui la composent ; & c’est ici l’une des fortes raisons qui rendent le duel extravagant, moins parce qu’il expose l’innocent à périr, que parce qu’il l’expose à périr sans vengeance & à laisser le coupable triomphant ; & vous remarquerez que ce qui rend le trait du Major vraiment héroïque, est moins la mort qu’il se donne, que la fiere & noble vengeance qu’il fait tirer de son Roi. C’est son premier coup de pistolet qui fait valoir le second : quel sujet il lui ôte, & quels remords il lui laisse ! Encore une fois, le cas entre particuliers est tout différent. Cependant si l’honneur prescrit la vengeance, il la prescrit courageuse ; celui qui se venge en lâche, au lieu d’effacer son infamie y met le comble ; mais celui qui se venge & meurt, est bien réhabilité. Si donc un homme indignement, injustement flétri par un autre, va le chercher un pistolet à la main dans l’amphithéâtre de l’Opéra, lui casse la tête devant tout le monde, & puis se laissant tranquillement mener devant les Juges, leur dit : Je