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LETTRE À LA MÊME.

Monquin le 7 Décembre 1769.

Je présume, Madame, que vous voilà heureusement arrivée à Paris, & peut-être déjà dans le tourbillon de ces plaisirs bruyans dont vous pressentiez le vide, en vous proposant de les chercher. Je ne crains pas que vous les trouviez à l’épreuve, plus substantiels pour un cœur tel que le vôtre me paroît être, que vous ne les avez estimés ; mais il pourroit résulter de leur habitude une chose bien cruelle, c’est qu’ils devinssent pour vous des besoins, sans être des alimens ; & vous voyez dans quel état cruel cela jette, quand on est forcé de chercher son existence là où l’on sent bien qu’on ne trouvera jamais le bonheur. Pour prévenir un pareil malheur quand on est dans le train d’en courir le risque, je ne vois gueres qu’une chose à faire, c’est de veiller sévérement sur soi-même, & de rompre cette habitude, ou du moins de l’interrompre avant de s’en laisser subjuguer. Le mal est que dans ce cas, comme dans un autre plus grave, on ne commence gueres à craindre le joug que quand on le porte, & qu’il n’est plus tems de le secouer ; mais j’avoue aussi que quiconque a pu faire cet acte de vigueur dans le cas le plus difficile, peut bien compter sur soi-même aussi dans l’autre ; il suffit de prévoir qu’on en aura besoin. La conclusion de ma morale sera donc moins austere que le début. Je ne blâme assurément pas que vous vous livriez, avec la