Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/211

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y maintenir l’ordre, la subordination, la sureté, l’abondance ?

La curiosité, naturelle à l’homme, lui inspire l’envie d’apprendre ; ses besoins lui en sont sentir la nécessité ; ses emplois lui en imposent l’obligation ; ses progrès lui en sont goûter le plaisir. Ses premieres découvertes augmentent l’avidité qu’il a de savoir ; plus il connoît, plus il sent qu’il a de connoissances à acquérir ; & plus il a de connoissances acquises, plus il a de facilité à bien faire.

Le Citoyen de Geneve ne l’auroit-il pas éprouvé ? Gardons-nous d’en croire sa modestie. Il prétend qu’on seroit plus vertueux, si l’on étoit moins savant : ce sont les Sciences, dit-il, qui nous sont connoître le mal. Que de crimes, s’écrie-t-il, nous ignorerions sans elles ! Mais l’ignorance du vice est-elle donc une vertu ? Est-ce faire le bien que d’ignorer le mal ? Et si, s’en abstenir parce qu’on ne le connoît pas, c’est-là ce qu’il appelle être vertueux, qu’il convienne du moins que ce n’est pas l’être avec beaucoup de mérite : c’est s’exposer à ne pas l’être long-tems : c’est ne l’être que jusqu’à ce que quelque objet vienne solliciter les penchans naturels, ou quelque occasion vienne réveiller des passions endormies. Il me semble voir un faux-brave, qui ne fait montre de sa valeur que quand il ne se présente point d’ennemis : un ennemi vient-il à paroître, faut-il se mettre en défense ; le courage manque, & la vertu s’évanouit. Si les Sciences nous sont connoître le mal, elles nous en sont connoître aussi le remede. Un botaniste habile fait démêler les plantes salutaires d’avec les herbes vénimeuses ; tandis que le vulgaire, qui ignore également la vertu des unes & le