Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/489

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plaint dans sa lettre au général Conway, & qui lui ôtoit jusqu’à la liberté de son esprit, je fus rassuré à cet égard, par la lettre de M. Davenport, qui marquoit que précisément dans ce tems-là son hôte étoit très-gai & très-sociable.

Un Philosophe, ou qui s’imagine de l’être, n’étale pas toujours ses déplaisirs aux yeux de ceux qui l’environnent : il affecte autant qu’il peut cette égalité d’ame qui convient si parfaitement à l’homme raisonnable, il prend le masque du héros ; mais dans son cabinet, sa grandeur d’aine s’évanouit.

N’est-il pas des instans où l’homme le plus consterné cherche par une gaîté affectée de s’étourdir sur ses chagrins. Mais je serois plus tenté de croire que J. J. se flattoit follement que sa lettre au-général Conway, produiroit l’effet qu’il en espéroit ; qu’il s’applaudissoit de son chef -d’œuvre épistolaire, & se réjouissoit d’avance du triomphe que son amour-propre lui laissoit entrevoir. Je reconnus-là, dit encore M. Hume, cette foiblesse ordinaire de mon ami qui veut passer pour être persécuté par l’infortune, les maladies, les persécutions, lorsqu’il est le plus tranquille & le plus heureux.

Ah ! M. Hume, ne me donnez jamais, je vous prie, votre amitié à ce prix-là. On ne traite plus d’ami, pas même ironiquement, un homme à qui l’on prête toute la bassesse du sentiment le plus abject. Vous enfoncez le poignard trop galamment, & le poison dont vous l’imbibez ne seroit du tout point de mon goût. Je vois bien qu’il ne faut pas que vos amis indigens s’avisent de rire en votre absence, ils y perdroient trop & je n’y veux rien gagner.

Son affectation de sensibilité extrême, ajoutez-vous, étoit un