Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/282

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l’ame & que celle-ci n’épure pas, n’ont leur chûte qu’au dernier terme : celle de Julie a bien un autre caractere. La chute de cette fille vertueuse, par la raison même de cette rare vertu, est marquée à la premiere faveur, à la faveur la plus légere, que même, si je ne me trompe, elle ne reçoit pas, mais qu’elle accorde à Saint-Preux. Un baiser qu’elle lui donne, un seul baiser, que l’amour lui arrache, a entiérement triomphé d’elle. De ce moment, elle a déjà cédé ; & l’Auteur, en peignant, dans le cours de l’action, cette situation avec un feu tout particulier, a voulu sans doute marquer dans son roman, par ce trait profond, vraiment neuf, l’époque dont je parle. Il est constant qu’il n’y a que la nature la plus

excellente & l’honneur le plus pur qui aient pu révéler à Rousseau ce secret du cœur humain ; aussi l’amour d’Héloïse a-t-il perfectionné son ame, tandis que les passions de ce genre les corrompent presque toutes.

D’autre part, combien l’amour de Saint-Preux n’est-il pas ardent & soumis ? combien n’est-il pas idolâtre & reservé impétueux & fidele à l’honneur ? Il est intéressant de voir avec quelle suite d’intérêt ses actions, ses discours, ses transports, son delire enfin, déterminent pas à pas toutes les démarches de Julie. Il n’étoit plus possible que cette Julie, si tendre, n’aimât pas Saint-Preux comme elle en étoit aimée, ou il eût fallu qu’elle ne fût plus elle, ou plutôt qu’elle n’existât pas : en un mot, tous les traits qui caractérisent l’une & l’autre de ces passions, sont d’une grande vérité & du plus beau choix ; les tableaux en sont pénétrans & doux, naturels & ravissans. C’est pour cela aussi que cet ouvrage a fait palpiter en secret