Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/241

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& du respect de tous les mortels. Ce projet peu sensé, qui supposoit de la bonne foi dans les hommes, & par lequel je tombois dans le défaut que je reprochois à l’abbé de St. Pierre, eut le succès qu’il devoit avoir ; il ne rapprocha point les partis, & ne les réunit que pour m’accabler. En attendant que l’expérience m’eût fait sentir ma folie, je m’y livrai, j’ose le dire, avec un zèle digne du motif qui me l’inspiroit, & je dessinai les deux caractères de Volmar & de Julie, dans un ravissement qui me faisoit espérer de les rendre aimables tous les deux &, qui plus est, l’un par l’autre.

Content d’avoir grossièrement esquissé mon plan, je revins aux situations de détail que j’avois tracées, & de l’arrangement que je leur donnai résultèrent les deux premières parties de la Julie, que je fis & mis au net durant cet hiver avec un plaisir inexprimable, employant pour cela le plus beau papier doré, de la poudre d’azur & d’argent pour sécher l’écriture, de la nonpareille bleue pour coudre mes cahiers ; enfin ne trouvant rien d’assez galant, rien d’assez mignon pour les charmantes filles dont je raffolois comme un autre Pigmalion. Tous les soirs au coin de mon feu, je lisois & relisois ces deux parties aux gouverneuses. La fille, sans rien dire, sanglotoit avec moi d’attendrissement ; la mère, qui ne trouvant point là de complimens, n’y comprenoit rien, restoit tranquille & se contentoit dans les momens de silence de me répéter toujours : Monsieur, cela est bien beau.

Mde. D’

[Epina] y, inquiète de me savoir seul en hiver au milieu des bois, dans une maison isolée, envoyoit très-souvent