Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/342

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J’avois un homme, qu’excepté Roguin, j’aurois dû mettre le premier en compte : mon ancien confrère & ami de Carrio, ci-devant secrétaire titulaire de l’ambassade d’Espagne à Venise, puis en Suède, où il fut, par sa Cour, chargé des affaires, & enfin nommé réellement secrétaire d’ambassade à Paris. Il me vint surprendre à Montmorenci, lorsque je m’y attendois le moins. Il étoit décoré d’un ordre d’Espagne, dont j’ai oublié le nom, avec une belle croix en pierreries. Il avoit été obligé, dans ses preuves, d’ajouter une lettre à son nom de Carrio, & portoit celui du chevalier de Carrion. Je le trouvai toujours le même, le même excellent cœur, l’esprit de jour en jour plus aimable. J’aurois repris avec lui la même intimité qu’auparavant, si C[...]t s’interposant entre nous à son ordinaire, n’eût profité de mon éloignement pour s’insinuer à ma place & en mon nom dans sa confiance, & me supplanter, à force de zèle à me servir.

La mémoire de Carrion me rappelle celle d’un de mes voisins de campagne, dont j’aurois d’autant plus de tort de ne pas parler, que j’en ai à confesser un bien inexcusable envers lui. C’étoit l’honnête M. le Blond, qui m’avoit rendu service à Venise, & qui, étant venu faire un voyage en France avec sa famille, avoit loué une maison de campagne à la Briche, non loin de Montmorenci.*

[*Quand j’écrivois ceci, plein de mon ancienne, & aveugle confiance j’étois bien loin de soupçonner le vrai motif, & l’effet de ce voyage de Paris.] Sitôt que j’appris qu’il étoit mon voisin, j’en fus dans la joie de mon cœur, & me fis encore plus une fête qu’un devoir d’aller lui